Comment peut-on critiquer l’album d’un artiste qu’on n’attendait plus ? David Bowie, donné pour mort ou en passe de l’être depuis tant d’années, revient, le jour de ses 66 ans avec un nouveau single au mois de janvier et deux mois plus tard, nous balance une galette de toute beauté dans nos esgourdes. Que dire, sinon que le patron est revenu pour nous dire que le génie n’est pas mort, que la bête bouge encore.
Bowie, c’est, avec Elvis, Dylan, Michael Jackson ou des groupes comme les Stones ou les Beatles, un des rares artistes à avoir changé notre façon de faire ou t’entendre la musique. Ce qui, à mes yeux, le rend supérieur à tout ces grands noms cités plus haut, c’est qu’il n’a jamais cessé de chercher, de se réinventer. Il s’est créé de multiples facettes qu’il a su tuer sur scène, accumuler des tas de surnoms, rentrer dans chaque des dernières décennies avec de nouveaux défis, donner naissance à des courants musicaux à lui tout seul (le glam rock, la cold wave…). Bien sûr, ’il s’est aussi perdu quelque part dans le milieu des années 80, laissant l’innovation aux Depeche Mode, Cure et U2. Mais à l’heure d’aujourd’hui, combien d’artistes peuvent se prévaloir d’autant de coups de maître, de tubes interstellaires, de paris insensés ?
Le bonhomme n’a plus rien à prouver, a influencé toute la scène musicale pendant de nombreuses années, et a acquis un statut de Dieu vivant auprès de tant de fans.
Alors, pour répondre à cette fameuse question, et en tant qu’humble fan, on ne critique pas un album de Bowie qu’on n’attendait plus, on l’écoute comme on va à la messe. On boit les paroles, les mélodies et à la fin, on dit Amen. Point. The Next Day, à la pochette géniale, recto comme verso, n’est pas le meilleur album de l’anglais, non, pas d’hymne à la Heroes ou Ashes to Ashes, mais un nouvel opus qui fait le point sur plus de quarante ans de carrière avec de très belles chansons et une production impeccable. Soyons honnête, Bowie aurait fait un album de reprise de Bénabar, on aurait trouvé ça génial aussi. Blague mise à part, voilà 17 morceaux qui rassurent plus qu’ils ne surprennent. L’homme n’innove plus véritablement, mais sait tellement y faire qu’une chanson de Bowie, même mineure, vaut dix fois plus que dix albums de Thom Yorke (avis strictement personnel).
Bowie fait à des moments dans l’auto-citation avec If you can see me qui rappelle bien sûr cette extraordinaire album concept Outside sans jamais vraiment égaler les fabuleux morceaux qui s’y trouvait. Avec le premier single Where are we now, magnifique chanson, mélancolique à souhait, on pouvait s’attendre à une nouvelle production un peu triste, un peu « je suis pas vraiment mort, mais ça en prend le chemin les gars, alors je vous prépare la bande son à mettre derrière le corbillard, comme j’avais fait la bande son pour mon mariage ». Et puis, là, le 11 mars, bim ! On se prend une première patate en découvrant un album très électrique, rock, très en guitare et en rythme. Papy fait de la résistance, donc.
Le morceau titre envoie dès le départ les hostilités et nous fait comprendre que le gentleman remet les gants et pose sa voix si particulière sur des bons gros riffs. A noter que la voix n’a pas changé, même si elle ne va plus toucher les nuages comme pour Life on Mars, elle se module, change d’orientation, de timbre. Bowie, en ce sens, est un interprète. Dirty Boys, il faut des écoutes prolongées pour l’accepter, avec son intro de gros mammouth qui joue du sax baryton. Le refrain vient éclairer l’ensemble et nous emmène. The stars fait partie des très bons morceaux. Direct, fluide, riche en sons, d’une efficacité imparable. Love is Lost nous renvoie aux années 70, à cette cold wave, aux ambiances inquiétantes. Combien de chanteurs mélangent une ligne d’orgue très épurée et des guitares saturées au loin ? Une nouvelle fois, le refrain donne un coup de pied au cul et nous fait décoller. Quelle maîtrise…
Where are we now fait, au fond, figure de parasite dans cet ensemble si électrique. Valentine’s day est la chanson la plus évidente de l’album avec une guitare superbe et aérienne. Encore une fois, c’est carré, c’est simple, comme si Bowie nous montrait qu’il ne faut pas trop de notes pour que ça marche, juste les bonnes. I’d rather be high accroche peut-être un peu moins l’oreille par manque de surprises et le refrain semble un peu daté. Boss of me nous réveille avec un rock plus lourd et où le sax baryton en remet en couche en compagnie du magnifique jeu de basses de Gail Ann Dorsey.
Dancing out in space avec quelques expériences sonores et une double voix très intéressante, le tout enrobé dans une rythme très bondissante, possède un petit charme suranné propre aux années 80. Joli et frais. How does the grass grow est, pour moi, est un autre pic de l’album. Originale en diable avec des couplets un peu scandés et un refrain génial ou Bowie se permet des onomatopées en « gna gna gna gnaaa… » ! Set the world on fire doit être un reste de Tin Machine dans les veines du père de Ziggy. Passée l’intro, on est pris dans la grandiloquence du refrain et le morceau reste très longtemps dans la tête. Avec cette chanson, c’est comme si Bowie envoyait un message aux groupes de pop rock anglais actuels, leur faisant comprendre qu’il va falloir encore compter avec son énergie à lui. Un peu comme Rocky, prêt à remonter sur le ring pour botter quelques culs. You feel so lonely you could die est une petite ballade qui ne nous apprendra rien de plus, malgré des très belles choses et des cordes qui pourraient nous tirer quelques larmes. Heat donnerait presque le sentiment d’assister à son propre enterrement, et nous renvoi encore à Outside, laissant une confession toute en ambiguïté « I don’t know who I am ». On reste à se demander qui de David Jones ou de Bowie nous parle…
Les trois derniers morceaux, en bonus, pourraient faire de bonnes face B, sans plus. So She, s’oublie un peu plus à chaque écoute, l’instru Plan ferait une excellente entrée en concert (s’te plait, s’te plait, une tournée M’sieur…). Enfin, I’ll take you there est le pendant du premier morceau de l’album, très entraînant, sans être plus passionnant que ça.
Au final, Bowie reprend le chemin qu’il était en train de parcourir avec son dernier album en date Reality. Non, aucune révolution, mais de très belles choses et surtout pas, comme on peut le lire ici et là, un dernier CD « pour la route » ou testamentaire. Bowie en a encore sous le pied et réussit toujours dans cette entreprise incroyable : un morceau de Bowie n’appartient qu’à lui. Reconnaissable entre tous, le Pape de la zicmu remet les pendules à l’heure. Ashes to ashes ? Non, c’est pas encore l’heure, Bowie est plus que jamais vivant.
Lilian Lloyd