Un âge d’or ne peut durer toujours. Si les années 70 virent s’effondrer les digues de la censure devant le raz-de-marée de l’érotisme le plus hard, si cette époque, qu’on pourrait qualifier de « dionysiaque », ébranla définitivement le règne sans partage des faux-culs de l’ordre moral, une question restait entière à l’aube des années 80 : qu’allait-on faire de cette liberté si chèrement acquise ? Car si, riche de promesses, la décennie précédente avait fait évoluer les mœurs, permis à la sexualité d’avoir un droit de cité (et de représentation) inenvisageable jusqu’alors, ouvert un nouveau champ de regard au cinéma – ne se gênant pas pour les investir, force est de reconnaître que cette liberté ne s’est pas suffi à elle même pour engendrer un véritable renouvellement des règles. On pouvait espérer que le développement de la vidéo, pour contourner toutes les contraintes économiques inhérentes au cinéma, permettrait de changer ces dites règles. Pourtant, il s’agissait, là encore, d’une illusion…
C’est la rose l’important
L’évolution ne se fait certes pas en un jour, mais là, le combat semble des plus difficile. Et si le contingent de films X en salles est encore équivalent à celui des films plus « classiques » en 1978, il connait un chute brutale l’année suivante. Chute qui s’aggrave encore dès 1980. Les budgets s’étiolent et les films deviennent des sous produits. Le cinéma pornographique devient alors une sorte de ghetto, où toute évolution semble destinée à être étouffée dans l’œuf. Le changement de majorité politique en 1981 aurait pu changer les choses, beaucoup l’ont voulu, l’ont rêvé… Pourtant, c’est le coup de grâce, qui va être porté au cinéma X à l’arrivée d’un gouvernement de gauche resté finalement très puritain, ou plutôt qui ne souhaite pas se mouiller sur un terrain qui ne présente que peu de chance d’être consensuel. Le nouveau ministre de la culture, le « formidable » Jack Lang, affirme très vite que le sujet ne fait pas partie des priorités de ce même gouvernement.
Parallèlement, ce qu’on appelle à l’époque la vidéo domestique vient d’apparaître en France. Le VHS est mis en vente en 1978 et le succès est immédiat, ce qui favorise l’essor de la location de films et l’implantation de vidéo-clubs. La mutation qui se profile n’est pas juste économique. En ce qui concerne le X, un nouvel échelon est gravi avec l’intrusion du spectacle à domicile. Très vite, le commerce de la vidéo est importante, et les premiers « hits » apparaissent. Marilyn Jess, qui a commencé sa carrière à 19 ans en 1978, connait un succès foudroyant avec Adorable Lola. Brigitte Lahaie, déjà égérie du cinéma X devient une vraie vedette grâce à Indécences 1930 en vidéo. Preuve du succès de ce nouveau média, la presse vidéo occupe le terrain, les mensuels fleurissent dès le début des années 80, et tous se signalent au minimum par un « cahier spécial X », caisse de résonance au genre, et développant le culte des nouvelles stars : Cathy Ménard, Claudine Beccarie, Richard Allan – autrement appelé « Richard queue de béton » ou encore Alban Ceray.
Hard Mania
Des manifestations sont organisées. A Paris, un festival de l’érotisme a lieu pendant plusieurs années sur l’emplacement du futur Opéra Bastille. Et surtout dès août 1985, le porno arrive sur la toute nouvelle chaine cryptée Canal +, qui n’a pas encore un an. Quoi de plus normale sur la chaine « du cinéma et du sport » ? Le 31 août exactement, la chaîne diffuse Exhibition de Jean-François Davy, véritable film cul(te) de 1975 ! Dès lors, le 1er samedi du mois devient un évènement aussi attendu par les abonnés (et les fans de la passoire) que la Pentecôte pour les catholiques, avec l’avantage d’avoir lieu plus souvent…
Mais ce « phénomène X » : l’expansion de la vidéo comme l’arrivée de Canal +, bouleverse les habitudes de consommation, en abolissant toute barrière sociale. Il faut bien le reconnaître, le porno est rentré dans les mœurs, au grand dam de certains, qui ont du mal à l’admettre ! Mais qui dit médiatisation, dit aussi scandales. Au printemps 1986, il n’est question dans le monde du X que de « l’affaire Rita Mitsouko ». Le tandem rock vient de décrocher son premier succès avec Marcia Baila. Or, sa chanteuse Catherine Ringer, a naguère tourné (parfois sous le pseudo Betty Davis), du temps où elle était à la fac, une série de films hard où elle déployait d’ailleurs beaucoup de talent (étant une des seules françaises à pratiquer la technique de la gorge profonde, ndlr). Que font les producteurs de ces cassettes ? Ils les ressortent immédiatement sous le nom de Rita Mitsouko. Procès de la chanteuse, mais rien n’y fait. Aucun problème pour les fans du groupe qui se fichent du passé de Catherine , et certains semblent apprécier la chanteuse autant que la comédienne de Poker partouze pour Marcia. Seul Serge Gainsbourg y trouvera à redire…
Autre constat, le succès grandissant du X risque de le mener très vite à la monotonie. C’est la naissance des nouveaux embranchements que sont le « hard amateur », où des particuliers se filment et vendent leurs ébats à des producteurs friands de leur maladresse face à la caméra; et le « hard-crad ». ou « curiosités » : femmes obèses, futures mamans enceintes, rasage de pubis en direct, fétichismes… et autres joyeusetés que la bienséance m’empêche de décrire ici, viennent fleurirent sur les rayons des boutiques spécialisées.
Dès 1987, la décennie pornographique s’achève principalement sur deux « points de non-retour » : l’abandon total du 35 mm au profit de la vidéo, et le début de l’utilisation du préservatif – encore minoritaire à cette époque – malgré le décès aux États-Unis de l’acteur John Holmes, atteint par le virus du Sida. Certains quittent alors le X, comme Marilyn Jess. Les films 100% safe sex finiront tout de même par arriver, mais ceci est une autre histoire…
A suivre…
Olivier Fournel